Arégonde, seigneure de la cité franche de Sardhesse

A la tombée du jour, une jeune cavalière à la chevelure de neige s'approcha du sanctuaire du Calice de jaspe. Menant une garde personnelle des plus restreintes, quelques hommes à peine, elle avait l'allure d'une walkyrie. Coiffée d'un haut cimier d'argent, elle n'arborait que de maigres signes de richesse. Avant tout, on remarquait sa prestance féline et... une hallebarde de facture antique. Ecaillée par le temps et les combats, l'arme témoignait d'une noblesse ancienne, quoique déshéritée.
Descendant de sa monture, elle s'exprima :

Oyez, oyez !
Dame Halinna de Cérune, glorieux seigneurs du Calice de jaspe, défenseurs de Thassopole et nobles sauveurs des miséreux, je suis Arégonde de Sardhesse !
L'appel du Calice m'est parvenu et depuis les lèvres me brûlent. L'envie d'y goûter m'obsède et entretient mes espoirs en ces temps difficiles. Je quémande donc ambassade en vos terres.

Arégonde marqua une pause, formulant intérieurement la suite de son discours. A coup sûr, un faux pas lui serait fatal.
Frappant le sol de sa hallebarde, elle reprit :

Sardhesse est déchirée par le malheur. La famille régnante a été anéantie voici quelques lunes. Dernière survivante de la branche mineure, je suis accablée de devoirs. Il m'incombe désormais de protéger le bas peuple et d'ériger des murailles contre l'irrépressible convoitise de nos voisins.
Telle tâche est trop lourde pour une jeune femme isolée et sans expérience ! Ma cité court au désastre.
J'implore votre assistance, valeureux seigneurs ! Si je buvais au même calice que vous, mes maux en seraient certainement guéris !

Craignant de s'être déjà trop avancée, Arégonde décida qu'il lui fallait conclure.

Si vous le souhaitez.

Le capitaine Koveras, ambassadeur du Calice, signait les parchemins successifs que le scribe faisait se succéder devant lui. Son esprit était las. D'incessantes chevauchées l'avaient fatigué et la pluie battante lui avait donné des maux de tête. Le breuvage chaud et âcre que lui avait préparéThurme, son médecin, l'avait toutefois soulagé. Une pensée le réchauffait néanmoins. Des quatre coins de Thassopole, l'appel du Calice avait retentit et des seigneurs accouraient vers sa puissance.
Alors même qu'il méditait l'avenir qui se présentait à la confrérie dont il était l'ambassadeur, le cor retentit.

La Reine de Sardhesse approche !

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Le capitaine arriva pour écouter ce qu'avait à dire la reine.
"Decidemment, le Calice semble avoir un faible pour le beau sexe. A ce rythme messires Ackenan, Graedaniar et moi même seront bien seuls..."
La femme semblait aussi jeune que splendide. Une chevelure blanche aussi étrange que séduisante encadrait son visage. Elle maniait une hallebarde d'un métal étrange que le capitaine remarqua rapidement. Il n'eut aucun doute sur les aptitudes de Dame Arégonde à la manier.

Koveras écouta son discours, encadré de deux jeunes chevaliers en qui il avait confiance. Ils étaient ambitieux sans être sots, et ils savaient que leur fortune étaient liée à celle du capitaine. Le Dictateur de Galathorn revêtait sa cuirasse en dessous d'une cape de fourrure. Une chaîne d'argent liait cette dernière en formant un collier sur le haut de sa poitrine. Il fit un signe pour qu'on s'occupe des visiteurs et soignent leur monture.

Noble Dame, le Calice vous a entendu!

C'est un honneur doublé d'un plaisir que de vous accueillir en ces murs. J'ose espérer que vous avez fait bon voyage. La détentrice du Calice, dame Halinna de Cérune, viendra prochainement vous accueillir et décidera de votre sort.
J'approuve votre décision et comprends vos soucis. Un royaume en proie aux troubles et au chaos est un royaume où les petites gens souffrent. Le Calice vous aidera à rétablir l'ordre et la concorde en Sardhesse.
En attendant, permettez moi de vous accueillir et de me présenter : Je suis le seigneur Koveras, maître de la Cité Franche de Galathorn et ambassadeur du Calice par volonté de notre dirigeante, Dame Halinna. C'est donc en son nom que je vous souhaite la bienvenue et vous invite à vous restaurer...

Le capitaine s'était avancé au bas de la monture de la jeune Arégonde et tendait galamment une main gantée pour l'inviter à descendre.

Arégonde fut accueillie par le Capitaine Koveras, le bras armé de Dame Halinna, celui qui avait proclamé l'appel du Calice de jaspe. Après quelques paroles chaleureuses, il lui tendit la main, l'aidant à descendre de sa monture.

Je vous remercie, Capitaine Koveras de Galathorn. Vous semblez aussi galant que le dit votre réputation.
Mon voyage fut fort agréable. Les terres alentours sont luxuriantes, les champs sont riches et les paysans mettent de l'ardeur au travail. Il n'en faut pas plus pour combler mon coeur.
Je vous accompagnerais volontiers pour me restaurer plus au frais.

La jeune reine fit l'honneur à Koveras de s'aider de sa main pour fouler le sol du sanctuaire au Calice. Le chevalier fit alors signe à Eleas et Melok, qui s'avancèrent et invitèrent les gens de l'escorte de dame Arégonde à les suivre, afin qu'on leur montre leurs quartiers. Des palefreniers emmenaient déjà les chevaux.
Koveras avait même oublié ses maux de tête, et il décida de conduire la reine de Sardhesse en ses appartements. Mais avant, il décida de s'exercer au rôle de guide et, tandis qu'il avançait en soutenant toujours la main de cette Vakyrie à la blanche chevelure, il présentait le castel du Calice.

Ainsi vous avez fait bon voyage. C'est fort heureux, car bien des équipages se font assaillir en ces temps troublés. Sans doute la vue d'arguments aussi tranchants que votre hallebarde a-t-elle donné à réfléchir...
Le capitaine désigna de sa main gauche l'arme d'Arégonde. Puis, souriant :
...A moins que l'éclat de votre beauté n'ai retenu leurs malveillantes intentions.
A cet instant ils sortirent de la cour d'accueil et le châtelet qui en gardait l'entrée et passèrent par de hautes portes. Ils arrivèrent alors à une second cour, plus vaste, où s'organisaient de nombreux bâtiments. De nombreux serviteurs et soldats vaquaient à leurs tâches, saluant respectueusement le duo. La reine attirait évidemment les regards.
Celle-ci put admirer quelques temples de marbre au dôme d'argent surmonté d'or, tandis que d'autres bâtiments semblaient bâtis de pierre bien moins noble. De fait, l'ensemble était hétéroclite et symbolisait parfaitement la symbiose du Calice. A côté de casernes aux pierres noires pouvaient se trouver une taverne au boiseries finement sculptés. On apercevait différentes pentes ascendantes qui menaient aux ponts-levis conduisant à la forteresse à proprement parler. Celle-ci était massive, et visiblement fort ancienne. Le seigneur de Galathorn confirma les pensées de la reine :
Du vieil ouvrage. Nous continuons de le restaurer et d'en découvrir certains secrets. Dame Halinna aime à en améliorer encore les défenses. La protection du Calice est notre priorité. Pour ce qui est des édifices que vous avez aperçu, ils sont récents et issus du labeur des différents maçons et architectes de nos royaumes. Leurs échanges se rapprochent davantage de la dispute que du dialogue, mais au moins la compétition leur fait donner leur plein potentiel...
Parvenus au sein de la cour du castel, Arégonde put contempler la hauteur et le caractère aussi complexe que formidable de la citadelle. L'épaisseur des murs, le nombre de tours, les angles d'observation offerts aux nombreuses sentinelles qui guettaient leurs déplacements indiquaient que les paroles de Koveras n'étaient pas vaine. Toutefois, la rudesse martiale de l'édifice n'avait pas privé les seigneurs du Calice d'implanter au sein d'une cour interne des jardins luxuriants. Fontaines, fleurs , statues et sculptures côtoyaient donc mâchicoulis, hourds ou échauguettes. De nombreux escaliers semblait inviter l'assaillant à se perdre et les multiples avancées de l'édifice faisaient que l'on distinguait mal le donjon des complexes attenant. La hauteur seule pouvaient l'indiquer. Quoiqu'il en soit, l'ennemi aurait une multitude d'obstacles à franchir, et un assaut ne pourrait s'attaquer qu'à un élément précis, celui-ci n'entraînant nullement la chute des autres complexes de défense.

Tandis que Koveras guidait la reine à travers cet impressionnant édifice, ils commencèrent à entrer au sein d'un des quartiers. Les sentinelles changèrent et les armoiries de Galathorn apparurent : un cerf d'or sur fond azur. Cependant, plusieurs hommes revêtaient également une tenue noire affublée d'une tête de cerf blanche. Leur attitude et leur équipement d'exception indiquaient qu'il s'agissaient là de troupes d'élites.
Alors, enfin, on leur ouvrit des portes qui donnaient sur des appartements : sans aucun doute ceux de l'ambassadeur.
Les tapisseries étaient assez nombreuses et quelques œuvres d'art éparses agrémentaient les boiseries de la salle de réception.
Koveras invita Arégonde à prendre ses aises et s'assoir. Sur la table qui faisait face à la reine, des coupes emplies de fruits et de fines pâtisseries semblaient attendre qu'on les goûte.
Dame Halinna est friande des raisins de ma cité. A moins que vous ne préféreriez ces pâtisseries. Les amandes et la liqueur qu'elles renferment jouent un grand rôle dans ma diplomatie.
Le sourire qui ornait le pâle visage du jeune diplomate n'indiquait nullement qu'il mentait.
Prenez-en, n'hésitez pas! Vous n'avez rien contre le vin j'espère? Certains de mes soldats rient en chantant que j'en bois parfois plus que de mesure.
Le seigneur de Galathorn se défaisait de sa cape de fourrure. Il sembla attarder son regard sur une note qui traînait et, tandis qu'il y ajoutait quelque chose, il fit venir un serviteur :
Qu'on fasse savoir que la reine Arégonde de Sardhesse se trouve ici. Je ne doute pas qu'on la recherche bientôt. Qu'on fasse venir de quoi se restaurer davantage,et rapidement...
Puis, il se retourna vers la dame.
Et bien? Êtes-vous à votre aise? Je suis désolé de ne pas vous mener au cœur de l'édifice, là où repose le Calice. Ses vastes salles me semblent parfois bien vides et la vision du Calice n'est offerte qu'à ses serviteurs ou aux hôtes de marque venus passer un traité avec nous. Mais je ne doute pas que vous puissiez le contempler bientôt. De toute manière, ce n'est pas tant son aspect qui impressionne le plus...

Koveras de Galathorn entreprit de mener Arégonde vers l'intérieur du château, un peu plus près du Calice de jaspe et de son envoûtante puissance...
Il s'avéra que le chemin était fort long. Qui plus est, le Capitaine ne conduisait pas la jeune reine jusqu'au Calice mais bien plutôt jusqu'à ses appartements...
Toutefois, la conversation de Koveras était plaisante et animée, Arégonde fit donc bon coeur. Il prit aussi la peine de lui présenter quelques lieux. La citadelle du Calice était labyrinthique, composée de multiples complexes, synergiques dans la défense mais indépendants les uns des autres si une retraite s'imposait. Les plastrons des gardes changeaient selon les zones, indiquant la présence de multiples commandants.
Il faudrait sans doute plusieurs armées pour percer au travers d'un tel enchevêtrement de feux-croisés.
S'arrêtant un moment, faisant mine de reprendre son souffle, Arégonde s'exclama :

Les architectes du Calice de jaspe sont bien fantaisistes ! Je n'ai jamais vu castel si compliqué, la tête m'en tourne ! Il paraît bien téméraire de vouloir l'investir de l'extérieur... Au moins, votre puissance militaire possède de fortes assises. Il est rassurant de savoir que les trésors de Thassopole sont si ingénieusement gardés.

Ils arrivèrent bientôt dans les quartiers du maître de Galathorn, puis dans un salon des plus luxieux. Des oeuvres d'art de Thassopole ou peut-être de Vénopole ornaient la pièce, distrayant l'oeil. Cependant, l'air frais et sec revigora Arégonde. Les sens en éveil, ses papilles lui indiquèrent la présence des mets les plus fins, quelque part, à proximité.
Le Capitaine Koveras, très obligeant, lui présenta les victuailles ainsi que du vin de qualité. Les fruits les plus frais, les pâtisseries les plus travaillées, le vin le plus sanguin.

Je vous remercie, sire, je goûterais volontiers ces raisins au coeur doré, fit la dame en détachant un grain d'une grappe florissante. Je m'aperçois à présent que ma chevauchée m'a éprouvée. Quant au vin, feu mon oncle Childéric, roi de Sardhesse qui mourut empoisonné - j'en pleure encore -, avait coutume de dire qu'il n'y a rien de tel pour lier connaissance ! Je ne saurais refuser une coupe... Le vin, après tout, est un miroir pour l'âme.

S'il me faut patienter avant de rencontrer Dame Halinna, je suis heureuse que ce soit en votre compagnie. Je suppose qu'elle est occupée... L'entretien du Calice doit requérir une attention de tous les instants, n'est-il pas ?

Tandis que dame Arégonde se restaurait de raisins de Galathorn, le chancelier écouta en souriant ses paroles.
"Voilà de biens charmantes lèvres..."
Diable! Voilà qu'il se surprenait à admirer plutôt qu'à écouter, à se distraire quand il devait rester alerte.
A cet instant, la jeune reine semblait l'interroger du regard. Elle devait attendre une réponse. Un bref instant de silence marqua la gêne de Koveras, lequel s'empressa de verser du vin dans deux coupes d'argent.
..le vin. Oui! "Le vin est le miroir de l'âme", c'est très exactement cela. Vous pouvez en boire mil, jamais la même saveur n'inondera votre palais. Il est le fruit du soleil, de la terre et des hommes. C'est donc le breuvage des gentilhommes pour sûr...et des dames de qualité. Ne dit on pas que si les Dieux créèrent l'eau, les hommes créèrent le vin?
Koveras abaissa la voix et cligna d'un oeil :
Mais n'en dites rien au druide Graedaniar, ce compagnon -si valeureux et chaleureux qu'il soit- ne goûte guère des plaisirs de la civilisation.

Le chancelier désigna alors les nombreux parchemins qui étaient disposés de manière éparse sur une table proche.
Quand à "l'entretien du Calice" comme vous dites, il me prend effectivement beaucoup de temps, lorsque ce ne sont pas les affaires de la cité de Galathorn qui m'occupent. Dame Halinna m'a confié une tâche lourde mais ô combien honorable, et je fais mon possible pour remplir mon office du mieux que je le puis. Entre les chevauchées et la tenue de la diplomatie, je dois avouer que je n'ai guère de temps pour moi.

Une petite voix retentit à l'intérieur du tortueux esprit de Koveras : "Et ça comble peut être cet ego qui te perdra, petit mercenaire même pas bien né. Peut être qu'au fond, tu as toujours voulu être de cette noblesse que tu méprise et dont tu as pendu quelques grands noms à Galathorn..."
Un voile traversa brièvement le regard du chancelier, avant qu'il ne secoue la tête et redevint le charmant mais implacable diplomate qu'il se voulait.

Tandis qu'il s'approchait de la reine Arégonde, les deux coupes emplis du breuvage si loué, il se rappela d'un détail.
Childéric avez-vous dit? Ce nom m'évoque quelque chose. Serait-il possible que j'ai combattu sous ses ordres avec ma compagnie de mercenaires autrefois? A moins que ce fut du mauvais côté... Quoiqu'il en soit, je ne doute pas qu'il fut un vigoureux seigneur, et assez valeureux pour qu'on usa de ce lâche procédé pour l'occire.
Et bien belle dame, je vous propose d'honorer sa mémoire et d'illustrer son propos en liant connaissance de la manière qu'il souhaiterait. Et, tandis que l'on prépare vos quartiers où vous pourrez vous délasser, parler moi donc de votre pays...et de vous.

Koveras tendait une coupe à Arégonde. Celle-ci pouvait voir les deux yeux verts du chancelier fixer les siens, comme deux étranges feux qui vous sondent l'âme. Ce regard profond et soutenu mettait habituellement mal à l'aise. D'évidence le chancelier, haut de taille et svelte d'apparence, dégageait une aura, un charisme qui justifiaient davantage sa position que son aptitude guerrière. Et toujours ce sourire mi-moqueur mi-heureux dont on doutait toujours de la véracité...

Le doux crépitement de la buche embrasée, les derniers rayons que le soleil couchant dardait par la fenêtre, l'odeur d'humus montant des jardins, tout semblait se conjuguer pour distraire ses sens. C'est non sans un certain effort de concentration qu'elle apposa sceaux et signatures au bas de quelques édits. Lasse, elle repoussa d'un geste dédaigneux la requête d'une guilde d'artisans cérunéens. Elle en prendrait connaissance demain, c'en était assez pour ce soir. Son dernier geste d'agacement avait suffit, déjà l'intendant emportait plus loin parchemins, doléances et requêtes. L'astre solaire finissait de se mourir par delà les montagnes, nimbant celles-ci d'un halo doré. Bientôt sa sélène sœur viendrait le remplacer au firmament. La simple pensée de celui-ci constellé d'étoiles suffit à lui arracher un mystérieux sourire.

C'est l'une de ses suivantes qui vint rompre le charme de l'instant. Avec la fin du jour était arrivée une hôte de marque, une humaine, Dame Arégonde, seigneur de la franche cité de Sardhesse. Plus qu'une guerrière, une véritable amazone à en croire la description qui s'ensuivit. S'il était courant de voir de nobles dames armées en terres d'empire, le fait qu'elle le soit d'une hallebarde était un détail singulier qui ne manqua pas d'attirer l'attention d'Halinna.

Il n'était que trop temps d'aller saluer cette damoiselle à la blanche chevelure. Sa présence était d'autant plus requise que le chancelier Koveras faisait preuve à l'égard des femmes de trop de libéralité. Les gardes en faction devant sa porte ne tardèrent à la suivre aussitôt qu'elle eut franchi le seuil de ses appartements. Leur livrée d'azur frappée d'une étoile d'argent miroitaient d'or à la lumière des torches. Une fleur d'édelweiss coincée a hauteur du col dans la maille de leurs hauberts les identifiait comme membres de la garde royale cérunéenne. Le pas lourd de son escorte martelait les dalles de pierres du cloitre lorsque, se ravisant la reine leur signifia leur congé. Elle poursuivit seule les quelques mètres la séparant des appartements du galathornien. Elle pesta quelle fantaisie venait-il de lui prendre de recevoir ainsi une invitée en ses appartements. Ne pouvait-il trouver terrain plus neutre ? Le gredin semblait prendre ses aises, d'y penser elle crispa ses mains gantées. Arrivée sur le seuil des appartements du chancelier elle retint d'un geste le garde de Galathorn qui faisait mine d'ouvrir la porte. N'eût-elle été qu'une enfant elle aurait prêté l'oreille à la porte pour galéjer sur le compte de Koveras, mais elle avait passé l'âge, à son grand regret d'ailleurs tellement l'idée la fit sourire. Toutefois cela n'eut point été très urbain à l'égard de son invitée. D'un hochement de tête elle fit comprendre au garde qu'il était désormais temps.

Pardonnez mon intrusion chancelier mais j'avais ouïe dire que vous receviez dame Arégonde de la lointaine cité de Sardhesse et je me flatte de ne m'être point trompée.

Si en arrivant son regard s'était de prime abord porté sur Koveras, elle ne tarda pas à s'en détourner pour porter toute son attention à leur hôte.

Dame, soyez la bienvenue en le sanctuaire du Calice. Je suppose que vous ne l'ignorez pas, mais je suis dame Halinna, reine de Cérune et détentrice de notre bien le plus précieux. J'ose espérer que vous avez fait bon voyage et que le seigneur Koveras n'a point manqué à notre devoir d'hospitalité.

Ce faisant elle avait esquissé une courte révérence.

Mais vous sembliez discourir de quelque sujet et je m'en voudrais de vous interrompre, aussi reprenez si le cœur vous en dit. A moins bien entendu que vous ne souhaitiez nous entretenir présentement de la raison de votre venue.

Elle ponctua son invitation d'un sourire bienveillant.

Néanmoins, nous avons le temps, vous n'escompter pas repartir courir les chemins à une heure aussi tardive ? J'espère que vous nous honorerez de votre présence à notre table pour le diner.

Veillant à ne pas être insistante en son regard, elle n'en jaugea pas moins l'inconnue qui lui faisait face. La croyance du petit peuple veut que le souverain soit à l'image de ses terres, si quelques fâcheux estimaient que les glaciers de Cérune trouvait leurs reflets en le cœur de la reine, alors, en ce cas les terres de Sardhesse ne devaient point être bénies d'une grande richesse à en juger par la sobriété de l'habit de dame Arégonde. Néanmoins à en juger par son port ses ressources était tout autre que pierreries.

Confortablement installée dans la salle de réception du Capitaine Koveras, Arégonde continuait de goûter aux fruits frais qu'il lui avait présentés. Le capitaine, délicieux, arborait, tantôt des yeux verts étrangement pénétrants, tantôt un regard qui se perdait dans... dans quoi, au juste ? Etaient-ce les plumes du cimier d'Arégonde qui le troublaient ? Ou encore le saphir familial qui ornait son diadème ? Ou bien...
Arégonde accepta une nouvelle coupe de vin. La chaleur du foyer se faisait plus marquée, aussi s'allongea-t-elle à demi, utilisant sa hallebarde comme on ferait d'un sceptre, pour maintenir son cou droit.

Le Capitaine Koveras aborda le sujet du Calice mais ses propos restèrent suffisamment vagues pour qu’Arégonde ne comprît rien à l’affaire. A coup sûr, il lui faudrait goûter au Calice pour se faire une idée elle-même. Peut-être les effets… mais elle ne devait pas se perdre en conjonctures maintenant ! Elle devait… elle devait… y goûter, renforcer sa puissance et celle de son royaume pour associer ses voisins aux projets de la couronne de Sardhesse…
Etonnée, elle s’aperçut que Koveras la dévisageait d’un air interrogateur. S’était-elle absentée ?

Oui ? Childéric, disiez-vous… Avait-elle réellement parlé de Childéric ? Arégonde se reprocha intérieurement de trop se confier aux yeux émeraude de Koveras. Mon oncle Childéric, roi de Sardhesse… Il fut un fier roi en sa jeunesse mais la maladie l’a forcé à abdiquer en faveur de son frère cadet. Il perdait grandes forces malgré les potions que nous lui administrions, jusqu’au jour fatal où du poison fut retrouvé dans son breuvage. L’histoire de Sardhesse est bien meurtrie et c’est miracle que j’aie survécu pour vous parler…

Arégonde s’interrompit comme une dame de noble allure pénétrait dans la pièce. Halinna de Cérune, détentrice du Calice de jaspe, se reconnaissait entre mille et son arrivée soulagea Arégonde. Elle pouvait se défaire d’un sujet délicat. La visiteuse se redressa prestement pour saluer la maîtresse des lieux d’une révérence quelque peu militaire.
Dame Halinna l’accueillit par des paroles bienveillantes, précises et prudentes.

Je vous remercie de m’accorder votre hospitalité, Dame Halinna. Le Capitaine Koveras m’a déjà donné l’occasion de me reposer après mon voyage mais c’est avec plaisir que j’accepte de partager votre table. J'accepterai aussi votre hospitalité, pour une durée dont nous pouvons nous entretenir.
Je me présente dans la citadelle du Calice de jaspe pour répondre à l’appel de votre ambassadeur. Si le Calice recherche des serviteurs, je serais honorée – et curieuse – de porter mes lèvres à ses bords, peut-être même obsédée par cette idée et par l'image de puissance que pourvoie le Calice, songea Arégonde en regardant Dame Halinna de ses yeux les plus doux.

Koveras souriait en coin tout en reposant sa coupe d'argent sur la table toute proche. Le chancelier fit une révérence marquée lors de l'entrée d'Halinna. Il ne parvint guère à déterminer son humeur, chose cruciale lorsque l'on s'adressait à elle. Le fait d'avoir accueilli Arégonde au sein de ses quartiers allait sans doute faire murmurer quand à sa complaisance. Peu lui importait toutefois,car les grandes salles communes ne convenaient guère aux discussions privées.
Dame Halinna! C'est un plaisir, comme toujours. J'ai pris sur moi d'accueillir cette jeune reine en ces lieux, en attendant que vous décidiez de son avenir.
Puis, prenant acte de la proposition de la détentrice du Calice, il se dirigea vers une porte de service toute proche et frappa des mains. Deux serviteurs en livrée apparurent :
Que l'on prépare à dîner dans la salle aux banquets! Notre invité a grand faim je suppose, aussi que rôts et pâtés, vins et fruits abondent! Veillez à prévenir les autres seigneurs au Calice et à quérir quelques amuseurs et conteurs afin d'égayer nos discussions si nous le désirons! Et prestement!
Les serviteurs s'inclinèrent et disparurent. On entendait déjà des ordres fuser.

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Quelques minutes plus tard, les deux hautes dames et Koveras se rendirent à la salle apprêtée pour le festin. Toute description des mets serait fastidieuse tant la liste en était longue et les provenances diverses : les caves et greniers des royaumes avaient fourni ici le meilleur de leurs réserves. Les tables, disposées en un U, étaient tournées vers une imposante cheminée dont les flammes dansaient d'un feu joyeux. Le long des murs, blasons et torches encadraient les valets prêts à servir. Quelques nobles, chevaliers et compagnons de Dame Halinna, Koveras et autres seigneurs étaient là à discuter avec quelques membres de l'ambassade d'Arégonde. Un jeune homme aux cheveux bouclés portant la livrée du Calice annonça l'arrivée du trio. Tous s'écartèrent tandis qu'ils avançaient vers la table. Le festin allait commencer. Dame Halinna serait au centre, dans un fauteuil de bois finement orné d'entrelacs et feuillages. Au sommet de son dossier figurait un calice sculpté. On allait s'assoir.
Belles dames, en cet instant je trouve grand plaisir à être chancelier !
La remarque de Koveras allait être diversement appréciée, mais qu'importait. Pour ce qui est des femmes, il fallait toujours se perdre en compliment quand à leurs beautés. Comme le disait Thulm, son palefrenier. "Les dames c'est comme les bêtes m'seigneur, faut approcher douc'ment, les mains en signe d'apaisement et dire doucement "doux..tout doux, t'es belle ma jolie..." Quelques caresses et pis voilà, la bête est calme". Ce bougre de palefrenier était un homme simple, mais sa franchise quelque peu benoîte et la simplicité de son existence mettaient Koveras de bonne humeur.
"Pas de calculs ni de plans sournois entre ces deux oreilles là".
Il espérait que ce repas serait aussi simple et joyeux que ce palefrenier...