Zahel, Maître des Hautes Cîmes

Zahel s'était présenté devant la Garde et avait demandé à voir les membres du Calice. Surpris d'abord par la requête du Célestial, le soldat n'hésita pas longtemps avant de conduire Zahel au palais. L'inquisiteur savait jouer de l'enseignement reçu de Kanderak et s'imposer aux petites gens.

"Bonsoir Dame Halinna, et vous, membres du Calice,

Je me nomme Zahel, Maître des Hautes Cîmes. J'ai quitté mes hautes montagnes il y a déjà quelques lunes et je parcours le monde de Kalamaï pour rétablir l'Ordre, comme Kanderak me l'a enseigné.

J'ai cru nécessaire d'abandonner la douceur et la sérénité des hauts sommets, conscient, qu'à vivre hors du temps, les célestiaux ne seraient pas longtemps préservés des ravages causés par tous ces êtres sanguinaires assoiffés de pouvoir...

On dit de vous, que vous souhaitez rétablir la paix et apporter la sécurité aux petites gens, en les libérant du joug des oppresseurs.

Il me semble donc que nous partageons les mêmes ambitions.

Je viens donc à vous, non pas vous demander de m'accueillir comme membre du Calice, mais plutôt me présenter comme un éventuel allié sur lequel vous pourriez compter si le besoin s'en faisait sentir.

En gage d'amitiés, veuillez recevoir cette modeste fiole contenant le plus pur hydromel des célestiaux, qui, je n'en doute pas, saura vous libérer des tensions qui vous assaillent, et vous soulager de tous les maux. Savourez le lentement, et vous le sentirez s'insinuer au plus profond de vous, puis laissez vous bercer par toutes les émotions apaisantes qu'il libérera."

Zahel tendit la fiole des deux mains, espérant que Dame Halinna la saisirait.

Soyez le bienvenu en notre sanctuaire Seigneur Zahel des Hautes Cîmes.

J'ose espérer que vous avez fait bonne route.

Halinna esquissa une courte révérence, puis devant la fiole ainsi offerte, tendit la main, la saisissant délicatement par le goulot.

Ce présent faisant, me voici votre obligée messire.

Elle observa un instant la fiole, l'hydromel lui donnait quelques reflets dorés. La jeune reine sourit à l'intention de son hôte.

J'espère que vous aurez l'obligeance de me permettre de vous honorer pareillement.

Elle se détourna un instant, confiant avec grand soin la fiole à l'une de ses suivantes.

Nous, Seigneurs du Calice sommes honorés de votre présence en ces lieux.

Le seigneur Koveras, notre ambassadeur, avait porté votre nom à ma connaissance. Je crois d'ailleurs qu'il a dépêché auprès de vous un messager. Il voyait en vous quelqu'un susceptible de poursuive un but similaire au nôtre, capable de porter bien haut nos idéaux. Je crois qu'il a fait preuve de discernement à votre égard, votre présence en ces lieux le confirme. Il ne fait donc aucun doute que nous puissions nous entendre sur bon nombre de sujets.

Rien ne s'oppose donc à ce que nous passions quelque accord, alliance, ou plus si vous le désirez...

Néanmoins votre voyage a dû être long et épuisant, les routes de Kalamaï ne sont malheureusement plus aussi sûres qu'elles ne le devraient. Aussi laissez-moi... Laissez-nous, vous offrir l'hospitalité. Nous parlerons de tout cela autour d'une collation...

A moins bien entendu que votre présence ne soit requise autre part dans les plus brefs délais, auquel cas nous nous entretiendrons céans...

Zahel prit place à la table de Dame Halinna et du capitaine Koveras. Pendant un instant il se laissa imprégner par les lieux. Il n'avait pas l'habitude de séjourner dans de tel donjon. Il se sentait légèrement oppressé, lui qui pendant fort longtemps avait les nuages pour toit et le vide pour murs... Conscient que son silence n'était pas digne de ses hôtes, il entreprit de leur expliquer dès maintenant les raisons de sa venue.

Dame Halinna, Capitaine Koveras, je vous remercie d'un tel accueil, c'est beaucoup d'honneur que vous me faites. J'ai reçu récemment une missive m'invitant à rejoindre le Calice. Elle a attisé ma curiosité et... comment vous dire... Je souhaite être tout à fait honnête avec vous... Je parcours Kalamaï depuis quelques temps maintenant. Je sers Kanderak. J'apporte l'Ordre et je rends la Loi comme mon Dieu me l'a appris. Par mes actes, je protège mes frères et sœurs célestiaux qui vivent à l'abri, aux sommets des plus hautes montagnes de Kalamaï.

Le combat que je mène est difficile et je ne l'emporterai pas seul. Aussi je tisse des relations avec les puissantes guildes qui semblent partager, tout au moins en partie, mes objectifs. Je dois vous avouer avoir déjà signer deux alliances avec de puissantes armadas et je suis en pourparler avec une troisième. Vous êtes la quatrième que que je visite...

Zahel observait ses interlocuteurs. Ils faisaient preuve d'une grande maîtrise d'eux même. Il n'arrivait pas à savoir quels sentiments ces informations faisaient naître chez eux. Se sentaient-ils trahis, eux qui lui avait ouvert aussi facilement leurs portes ? Etaient-ils intrigués ? Envisageaient-ils les conséquences que pourraient avoir un accord avec Zahel ?

Mes Sentinelles grises m'ont fait savoir que vous n'entreteniez pas, tout au moins officiellement, de relations avec d'autres grandes puissances. Aurais je l'audace de vous demander pourquoi ?

Halinna avait observé en silence l'échange, la franchise semblait de mise, on ferait donc l'économie de toute mésentente. Saisissant sa coupe d'une main elle en fit tourner le vin délicatement. La réponse du capitaine la satisfaisait pleinement, elle n'aurait pas grand chose à ajouter.

Bien, je crois que notre ambassadeur Koveras exprime fort bien nos ambitions.

Par la Grâce de l'empereur nous fûmes la première Armada de Kalamaï, dés lors nous aurions pu effectivement nous inscrire durablement dans le paysage de l'empire ou du moins en notre province de Thassopole. Cependant nous avions jugés préférable de ne pas nous mêler des querelles déchirant les terres impériales et avons au mieux de nos force assurés la protection de nos gens et de nos terres. Liés par notre serment a notre Graal nous sommes restés entre nous, fidèles à la parole donnée. Cependant une nouvelle ère est arrivée, celle de nous ouvrir aux autres et d'accueillir parmi nous de valeureux seigneurs.

D'un léger mouvement de sa main tenant la coupe elle désigna le seigneur Koveras de Galathorn

Comme je vous le disais, notre ambassadeur dit vrai. Votre combat m'est sympathique, soyez assuré de ma bienveillance à votre égard. Toutefois, je ne saurais m'engager auprès de vous en un accord aussi précaire...

L'application pourrait en être ardue et je ne tiens pas à ce qu'une mauvaise estimation de la situation, à ce qu'une décision sous l'effet de quelque passion, ne fasse de qui que ce soit un parjure.

La jeune reine porta la coupe à ses lèvres, l'arôme sirupeux vint lui flatter le palais. Elle en but une gorgée puis la reposa en souriant, apparemment satisfaite.

J'espère que vous ne prendrez pas ombrage de cette décision.

Zahel était resté impassible. Il avait écouté tour à tour le capitaine Koveras, puis la Reine Halinna. Il semblait qu'il n'obtiendrait pas ce qu'il était venu chercher... et il décelait malheureusement quelque chose d'encore bien pire...

Reine Halinna, Capitaine Koveras, je constate que votre noblesse vous conduit à être tout aussi honnêtes que moi, et quoi qu'il arrive dans quelques instants, je saurai vous reconnaître cette qualité.

Zahel se tourna dans un premier temps vers le capitaine Koveras :

Capitaine, je crains fort avoir décelé une faille dans votre stratégie. Vous semblez être défavorable à des traités avec des royaumes indépendants. Et pourtant... vous adressez des missives à ceux-ci en leur laissant croire qu'ils pourraient en bénéficier... Ne savez vous pas que la province de Thassopole a fermé ses portes aux célestiaux ? Il m'est donc impossible, quand bien même j'aspirerai à le faire, d'intégrer le Calice...

Par ailleurs, j'ai quitté les hauts sommets pour préserver les célestiaux de Mon Royaume (Zahel insista sur le Mon pour illustrer le fait qu'il ne se battait pas pour tous les célestiaux, mais pour le peuple sur lequel il régnait uniquement. Si d'autres peuples pouvaient en bénéficier, et bien tant mieux). Nous ne parlons pas de serfs chez les célestiaux. Nous avons une autre forme de hiérarchie. Néanmoins, il me semble que sur ce point, ce sont les mêmes objectifs qui nous guident.

Si je suis là, c'est bien pour moi-même et mes armées. Sceller des traités avec les puissances majeures m'évitent certaines difficultés, ou peuvent m'assurer des soutiens éventuels, ce qui facilitent l'atteinte de mes objectifs. Évidemment, en contre partie, mes alliés bénéficient d'un bras armé qui peut participer à leur côté à certaines guerres en affaiblissant l'ennemi et en fournissant des informations, qui, bien utilisées, peuvent s'avérer primordiales.

Zahel se tourna alors face à la Reine Halinna.

Dame Halinna, si je suis aussi honnête avec vous c'est justement parce que mon honneur m'interdit le parjure... Il me semblait important que vous sachiez que je disposais déjà de quelques alliés, à qui j'ai promis les mêmes choses que ce que j'aurais pu vous promettre également. Il convenait donc que vous sachiez que ses promesses avaient leurs limites, et que certaines guerres, si je ne pouvais les éviter en intercédant entre les deux parties, se dérouleraient sans moi.

Vos relations naissantes avec La Garde d'Hanitar me conduit néanmoins à penser que cette situation sera sans doute amener à se produire... et je le regrette...

Zahel, patienta un instant, laissant l'opportunité à ses interlocuteurs de prendre la parole.

Le Capitaine fronça les sourcils et, tout en continuant à écouter le célestial, il se frottait pensivement ses joues qu'on devinait mal rasées. Dame Halinna ne l'avait pas contredit, et les choses semblaient ne pas devoir aboutir alors que Zahel finissait d'expliquer sa position. Koveras avait perdu le sourire qui narguait sans cesse ses interlocuteurs pour répondre le plus sérieusement qui soit, sans même boire de ce vin dont il se délectait sans cesse :

Messire, je crois qu'il y a malentendu.
Le Calice de Jaspe n'a jamais contacté de seigneurs en leur faisant miroiter des "avantages" par traités ou toute autre manœuvre. Mes coursiers étaient clairs : rejoindre le Calice est un acte sans retour qui implique un engagement total, avec toute sa part de gloire mais aussi de devoir. Aussi n'ai-je pas de "stratégie"...et encore moins de failles (le capitaine esquissa alors de nouveau un sourire narquois).
Enfin, et puisque nous disons les choses clairement, je puis vous dire que j'ai eu dans un lointain passé, alors que j'étais encore un mercenaire, l'occasion de traiter de seigneur à seigneur. Mais vous présentez un inconvénient indéniable et qui rend à mon sens impossible semblable traité entre nous : vous avez des traités multiples avec différentes armadas. Aussi votre "aide" serait bien sélective et, lorsqu'elle a lieu, suspecte. Quand à votre appui pour lutter contre un seigneur indépendant, il me semble inutile tout autant que peu glorieux pour le Calice. J'aimerais par ailleurs, si ce n'est pas indiscret, connaître les armadas qui ont accepté de traiter avec vous...



Le capitaine s'était levé de sa chaise, et fit quelques pas autour de la table, finissant ce qu'il avait à dire :

Il va de soi qu'il est tout à fait regrettable que le peuple de Thassopole soit encore trop plein de préjugés à l'encontre de célestiaux, ce qui empêche votre intégration parmi nous...

Koveras arriva alors derrière la chaise ornée de Dame Halinna et, debout à sa droite, il acheva son intervention en abaissant respectueusement le visage.

L'oubli de ce racisme incombe à ma chancellerie, laquelle avait sous estimé ce phénomène qui explique en partie votre position. Je m'excuse donc d'avoir placé d'impossibles espoirs en vous. Cet élément, ajouté à votre bonne volonté, pourrait en effet jouer en faveur d'un traité. Toutefois, comme je l'ai dit, je reste méfiant à semblable pratique. Mais je ne suis qu'un humble serviteur du Calice...

Les yeux brillants du capitaine allaient du célestial à Halinna...

Dame Halinna avait une nouvelle fois écouté les arguments de chacun. Elle avait esquissé un léger sourire tandis que son ambassadeur reconnaissait l'omission de sa chancellerie, mais avait pris le parti de le masquer derrière une nouvelle gorgée de vin. Déjà sir Koveras finissait d'exposer ses réticences quant à la question. C'était maintenant à son tour de parler et, finalement, de trancher la question. Elle le savait, mais prit un malin plaisir à faire attendre l'espace d'un court instant ses interlocuteurs. Elle déposa doucement sa coupe sur la table.

Non. Le mot était tombé comme un couperet, s'en était un, elle avait arrêté sa sentence.

Non, nous n'établirons pas ce traité. Sa voix laissait transparaitre sa détermination.

Ce traité serait un précédent qui pourrait finalement nous entraver

Elle n'avait pas quitté du regard le célestial. Il serait assurément déçu de cette décision. Elle éprouvait une certaine sympathie pour lui, il était venu de loin et avait plus de civilité que quantité de seigneurs. Néanmoins, c'est de loin l'intérêt du Calice qui l'emportait.

J'espère que vous n'en serez point amère

Voyez-vous, malgré notre sympathie pour votre cause, nous ne désirons pas entrer en la logique de tels accords. Ceux-ci constitueraient autant de liens, d'entraves, informels pour nous, car non reconnus par l'empereur. Ce n'est pas tant votre offre qui pose problème mais elle créerait un précédent et je pense que, au contraire, il nous faut faire preuve d'inflexibilité à ce sujet. Cependant, si vous parveniez à fédérer les vôtres, alors nous saurions peut être trouver ce consensus qui nous fera manifestement défaut en ce jour. En attendant, je ne saurais vous offrir plus que l'assurance de ma bienveillance à l'égard de votre croisade.

La jeune reine avait changé de ton, s'il elle s'était montrée roide pour signifier son refus, elle avait veiller à l'adoucir pour engager son hôte a comprendre sa décision et pourquoi pas à songer à sa proposition. Elle guettait la moindre réaction de celui-ci, tout en effleurant distraitement du bout des doigts le pied de sa coupe.

Pour ce qui est de nos relations avec la Garde d'Hanitar, sachez, bien que cela ne vous concerne en rien, qu'elles ne sont présentement que balbutiante.

Bien, la question ayant été étudiée, je comprendrais que vous désiriez repartir sans attendre. Reprit-elle plus légèrement.

Cependant nous vous avons offert l'hospitalité et vous l'offrons aussi longtemps que vous viendrez avec de bonnes intentions.

Joignant le geste à la parole elle désigna la table apprêtée, garnie de multiples mets et autres breuvages invitant son hôte à s'y servir. Pour sa part elle opta pour une grappe de raisin de Galathorn. Le soleil de leur région les gorgeaient de sucre. Ils étaient proches de ceux de glace cérunéens l'alcool en moins...

Tel un violent uppercut, la décision de Dame Halinna avait sonné Zahel, mais en bon inquisiteur, il n'en avait rien laissé paraître, à l'exclusion d'un léger tremblement qu'il eut tôt fait de masquer.

Le ton de la Reine s'était ensuite fait plus doux. Elle avait exposé ses arguments et, en tant que Reine, elle avait décidé.

Il était indéniable qu'elle était de ces personnes de Haute Noblesse qu'il convenait de respecter.

Ma Dame, j'ai été particulièrement heureux d'avoir l'opportunité de négocier avec vous, c'est un grand honneur que vous m'avez accordé. La conclusion n'est pas celle que j'attendais, mais je l'accepte.

Et puisque vous me l'autorisez, j'aurais grand plaisir à accepter votre hospitalité ce soir, et à pouvoir entendre conter les aventures du Calice.

Dites moi Capitaine, me ferez vous l'honneur, demain matin, avant mon départ, de me faire visiter vos armées ?

Zahel souhaitait à présent profiter de l'hospitalité qui lui était accordé et partager avec ses hôtes un moment agréable. Il ne savait pas si leur prochaine rencontre aurait lieu sur un champ de bataille, mais au moins, il espérait démontrer le respect qu'il leur vouait.

Le visage du Célestial ne trahit pas de surprise ni de déception à l'annonce, irrévocable, de la dirigeante du Calice. Cependant, le bref silence qui s'en suivit et une légère crispation de la main du seigneur Zahel indiquèrent à Koveras que l'échec de l'ambassade avait atteint l'humeur de leur hôte.
D'ordinaire, le capitaine s'en serait moqué et à vrai dire peut être aurait-il lancé une de ces remarques ironiques qui blessent les êtres emprunt de dignité. Mais la franchise et la clarté avec lesquelles avait exposé sa requête avait forcé le respect du capitaine dictateur de Galathorn.
En effet, Koveras avait passé l'essentiel de sa vie dans sa compagnie de mercenaires, à servir des hommes velléitaires et d'humeur changeantes. La noblesse de Galathorn ne lui avait inspiré que dégout, et le machiavélisme avait lequel il s'était emparé de la ville et avait maté toute opposition ne lui causait pas le moindre remord. Cependant, le capitaine se sentait sale lorsqu'il se trouvait devant quelqu'un qui n'avait d'autre but que le bonheur des siens et leur sécurité. Sieur Zahel n'avait, contrairement à Koveras, ni forte escorte ni armure ciselée d'or, mais son âme était bien plus noble...

Par les cornes d'Azator! C'est bien le diable si je m'attendais à pareille demande après ce que nous venons de décider !

Dame Halinna garda son sourire froid, et reçut sans mot dire la demande du célestial.

"Décidemment, cette dame est aussi belle qu'inquiétante..." se surprit à penser le capitaine.

Koveras, dont la main gauche reposait sur le haut du fauteuil de la reine, éclata alors d'un rire joyeux.

Et bien ma foi, nous n'avons pas l'habitude de jouer les conteurs. Mais peut être trouverons nous quelque troubadour pour vous divertir. Cependant, il se trouve que les chansons épiques et les récits héroïques cachent bien souvent de sordides réalités. Tant en Cérune que dans la cité franche de Galathorn, les hommes et les femmes qui dirigent ont les mains tachées d'un sang tenace...

A ces mots, dame Halinna fronça les sourcils, et semblait à deux doigts d'intervenir.

Aussi toute histoire qui vous sera contée ici sera somme toute très suspecte. Néanmoins...
Le capitaine marqua une pause.
Néanmoins nous sommes tous des serviteurs du Calice. Le Calice nous donne la force que requiert la quête à accomplir tout autant que nous le servons. Le Calice nous a trouvé alors même que nous forçions les portes millénaires qui l'enfermaient. Le Calice est notre étendard autant que nous sommes ses serviteurs. De ses secrets, nous ne saurions dire un mot à un étranger. Peut être est-ce là un refus de plus qui vous navre, mais il est nécessaire et vous le comprendrez je suis sûr.
Aussi, j'espère que notre compagnie en bonne et franche tablée et autour de doux breuvages agrémentés des gibiers des bois d'Ezkanya vous contenteront. Des récits que vous demandez, pour ma part il s'agira davantage d'histoires de pendaisons, de coups bas, de soldats soudoyés et d'embuscades réussies. Pour les récits de grandioses victoires, où l'odeur de la poudre vous vient aux narines alors même que le bruit d'une cavalerie chargeant emplit vos oreilles d'un chant belliqueux, je laisse ceci à d'autres...et notamment aux troubadours.

Mais il va de soi que je ne saurais vous refusez une présentation des régiments de Galathorn. Il en est peu au sein de ces murs car ce castel est commun à tous les seigneurs du Calice. Je tenterai toutefois d'organiser cela pour demain. Pour le reste, je pense que dame Halinna ne verra pas d'objection à ce que nous nous attablions tous.

Sur ces paroles, le capitaine se tourna légèrement vers Dame Halinna et s'inclina. Alors que son pâle visage aux cheveux ténébreux arriva à quelques centimètres de l'oreille de sa reine, il murmura quelques mots :

J'ose espérer d'ailleurs que le seigneur Ackenan nous fera l'honneur de sa présence.

Alors, il se redressa et se dirigea vers la porte la plus proche pour faire appeler les serviteurs. Quelque soit ce qu'allait annoncer la reine de Cérune, ils arrivaient au terme de cet entretien et , espérait-il, au début d'une conversation plus divertissante...

La jeune reine avait acquiescé d'un signe de tête aux paroles du celestial, d'aucun aurait écourté leur visite, cela eut été compréhensible. Toutefois cela ne fut pas le cas, cela démontrait encore s'il en était besoin la courtoisie de son hôte.

Les raisins de Galathorn était un délice, finalement bien plus que les paroles du capitaine. Elle manqua presque de s'étouffer sur l'un des fruits, mais préserva au mieux les apparences

Seigneur Koveras, tenez votre langue je vous prie. Galathorn et Cérune sont le jour et la nuit. S'il vous plait de vous présenter comme un individu malfaisant, je vais devoir reconsidérer votre nomination...

Et peut-être vous traiter comme tel ? Elle n'avait manifestement pas goûter à l'allusion.

Et voilà qu'en plus d'évoquer son sombre passé le galathornien jetait Ackenand dans la conversation. En Ezkanya il n'était de gibier que de potence, le dirigeant local en tête. Un sombre gredin que celui-là, « notre regrettable ami » s'était piquée de le dénommer la reine de Cérune. Il n'en restait pas moins un personne sûre et de valeur. S'il savait se rendre présentable, on pouvait le trouver tout aussi souvent dans quelques bouges sordides ou égouts putrides qu'en le sanctuaire du Calice. Fainéant, fanfaron, coureur de jupon, c'était là les moindres de ses défauts, il n'était pas précisément le convive idéal pour accueillir un seigneur comme le Maître des Hautes Cimes.

Le seigneur Ackenan est probablement occupé autre part...

C'était du moins ce qu'elle espérait.

Sirs, prenez place et faites donc honneur à nos cuisiniers !

Elle frappa dans ses mains et l'instant d'après, pages et échansons vinrent se mettre au service des trois convives, prenant place à leurs cotés. Les mets exhalaient un fumet des plus appétissants. Il y aurait assurément de quoi complaire aux plus fins gourmets comme aux plus gourmands des seigneurs.

Halinna enjoignit à l'une de ses dames de s'en aller quérir quelque barde qui saurait tout au moins apporter la distraction de sa musique au repas. A l'évidence, il connaitrait bien une chanson ou deux rapportant les faits d'armes des seigneurs du Calice. Tant qu'il ne s'agissait pas des sombres exploits du représentant de Galathorn, cela ferait l'affaire.

Si ce n'est indiscret, seigneur Zahel, avec qui avez-vous déjà passé accord ?

Quelle grande Reine, se dit Zahel. Elle aborde la question cruciale, de la façon la plus désinvolte qu'il soit, alors que la réponse peut être éminemment stratégique.

Zahel allait répondre, lorsqu'un domestique rouge de confusion s'approcha de lui et lui remit une missive.

Maître des Hautes Cîmes, Ma Reine, Capitaine, pardonnez mon intrusion dans votre conversation, une sentinelle aux couleurs du Maître des Hautes Cîmes s'est présentée au poste de garde et à demander à voir séant celui-ci. Il a remis ce message à la Garde en indiquant qu'il relevait d'une importance capitale.

Veuillez m'excuser Dame Halinna, Capitaine, j'avais donné ordre de ne pas me déranger sauf évènement de premier ordre... Permettez que je prenne connaissance de ce courrier.

Zahel reconnu immédiatement le sceau et sut d'où provenait cette missive. Après une lecture rapide il reprit la parole.

Dame Halinna, Capitaine Koveras, je vous prie d'accepter mes excuses, mais il me faut prendre congé de vous dès à présent. J'ai une longue route à faire. Il semble que le peuple des Célestiaux ait décidé de prendre son destin en main et ma présence est requise en Etimnon. Croyez bien que je regrette de ne pas faire honneur à votre invitation qui nous aurait permis de mieux faire connaissance.

Il est trop tôt pour vous en dire plus, mais sachez que si tout se passe comme je le souhaite, je reviendrai rapidement en ce lieu... si ma présence est toujours la bienvenue.

Dame Halinna, Capitaine Koveras.

En disant ces mots, Zahel salua le capitaine et baisa la main de la Reine. Il leur offrit un dernier regard, espérant qu'il réussirait à leur transmettre par ce biais le plaisir qu'il avait de les connaître à présent, et la déception qui l'assaillait de les quitter si rapidement.

Zahel leur tourna le dos et quitta prestement la salle accompagné du serviteur à qui Zahel demanda de le conduire directement au messager.

Nul membre du Calice ne revu le Maître des Hautes Cîmes... Bien sûr ses hauts faits d'armes, aux côtés de ses frères d'armes de l'Ordre célestial, furent contés à la Reine Halinna, mais jamais il ne revint goûter aux doux breuvages et à la bonne chair offerts, si généreusement, par la reine, à tout hôte qui savait faire preuve de prévenance à son égard...

Les troubadours racontent qu'après avoir connu la gloire, Zahel s'était retiré en son royaume... heureux d'avoir repoussé les hordes barbares et d'avoir offert à son peuple un répit et la tranquillité des hauts sommets pour quelques décennies...

Mais qui sait... Un jour peut-être, Zahel sortira de sa réserve et reprendra les armes pour le bien-être de son peuple...